Qualité à vendre

Il est environ 19 heures. Je suis en visite chez l’un de mes fournisseurs, imprimeur industriel ; à cette heure avancée de la journée, les ateliers sont vides et c’est le patron qui reçoit les derniers clients, qui, comme lui, ne sont pas personnellement concernés par les 35 heures.
Le téléphone sonne : « Allô. Oui, c’est bien moi le responsable de l’entreprise. Non, nous ne sommes pas “ISO”. Non, une certification “9002” ne m’intéresse pas. Non, je ne souhaite pas de rendez-vous avec ce cabinet ! Allez, je vous laisse j’ai du monde, au revoir. »

Il a raccroché. Revenant vers moi d’un air un peu las, il me dit : « Excusez-moi ! Je suis régulièrement démarché par des sociétés qui me harcèlent et veulent à tout prix me rencontrer pour me vendre de la certification ISO en me parlant de qualité ; je n’y comprends rien ! Si c’est ça leur qualité, ils feraient bien par commencer à se l’appliquer à eux-mêmes… »

La messe est dite ! Et voilà la qualité grandie…

Parodie d’une opération de démarchage née de mon imagination ? Morceau choisi d’un mauvais exercice de style en télé-prospection ? Ce pourrait être ça ; hélas non ! Rien que la triste réalité.

Le plus grave dans tout cela, les conclusions que tire mon interlocuteur de cette mésaventure ; elles sont assurément hâtives, mais gageons qu’elles altéreront sérieusement voire durablement l’image de notre profession, qui demeure encore abstraite pour beaucoup.

Cet exemple peu flatteur, caricature en l’abaissant au niveau du tireur de sonnette et du pied dans la porte, une situation d’approche commerciale qui, s’agissant de nos métiers, reste encore indispensable à la réalisation de toute mission : obtenir un rendez-vous dont la vocation consiste à faire se rencontrer un vendeur et un acheteur potentiel.
Je souhaite, par cette anecdote, aborder le thème de la dimension commerciale dans l’exercice du métier de qualiticien consultant et mettre l’accent sur l’importance que revêtent son intégration ainsi que sa maîtrise.
Vendre et acheter sont des pratiques s’inscrivant dans la démarche d’évolution de l’être humain et des sociétés qu’il a développées. Le troc ou échange, n’est pas autre chose ; abstraction faite de l’interface représentée par l’utilisation des valeurs fiduciaires. Un produit contre un produit, ou un service, les combinaisons sont multiples, mais ramènent toujours au même point de départ : vendre et acheter.

Bien que je ne m’adresse volontairement ici qu’aux professionnels externes aux organismes, il n’en est pas moins vrai qu’en interne, l’un des gages de réussite des développement et déploiement d’un système de management de la qualité, repose sur les capacités de ceux dont c’est le rôle, d’expliquer ses finalités et de convaincre de son bien-fondé, pour susciter l’adhésion du plus grand nombre, pour ne pas dire son achat par le plus grand nombre.
Sujet sensible, voire fâcheux pour une partie de mes confrères, qui le considéreront vulgairement mercantile. Vendre, ou plutôt savoir susciter chez l’autre l’envie d’acheter qu’il soit prospect, client, employeur, collaborateur, n’est-ce pas là objectivement le fondement d’un principe économique majeur ? Et que nous ne manquons pas d’appliquer, qu’il concerne notre image, nos idées, nos connaissances, compétences, expériences, produits et j’en passe tant la liste est exhaustive.
Nous avons tous quelque chose à vendre et la seule dévalorisation qu’il puisse y avoir à cela, réside dans les façons de faire, ou dans le défaut de capacité à assurer notre engagement, conformément à ce qu’attend notre client au vu des propositions que nous lui avons faites et qu’il a acceptées.

Les principes de revue de contrat, d’identification des exigences des clients, de revue des exigences relatives aux produits, tendent à sécuriser et consolider la maîtrise de ces actions commerciales, qui « servent » toujours les activités qui en découleront par la suite.
Notre pérennité n’échappe pas à ce principe, qui veut que la valeur qui constitue notre produit, en l’occurrence, majoritairement les prestations intellectuelles, n’existe que par la demande qui en est faite par notre prospect ou client, l’acheteur. À ce titre, la définition que donne de cette valeur le dictionnaire Robert : « VALEUR : qualité de ce qui produit l’effet souhaité », traduit bien le sens de mon propos.

Il est intéressant de constater dans un libellé commun, que les notions de valeur et de qualité sont intimement liées et que le principe de représentation de la qualité par la réponse adéquate au besoin (l’effet souhaité), est clairement marqué.

Dans un premier temps, donc, la question se pose de savoir comment faire connaître à cet acheteur la ou les valeurs, que nous sommes en mesure (ou pas), de lui vendre.

De quoi parlons-nous ? De communication bien sûr ! Nous sommes là, fort de notre capital « valeurs », véritable trésor dont nous sommes persuadés, qu’il peut contribuer à améliorer la qualité chez notre prospect.

Seulement voilà, notre enthousiasme se heurte d’emblée à un écueil de taille : c’est que lui, le prospect, il ne le sait pas encore, peut-être ne s’est-il pas même posé la question, ou en a-t-il vaguement entendu parler. Dans bien des cas, sauf absence de nécessité car cela existe, nous allons devoir faire en sorte de lui faire partager cette conviction.

Mais au fait, ce prospect existe-t-il seulement ? Par quel moyen allons-nous nous en assurer, comment allons-nous faire pour l’aborder, qu’allons-nous lui dire pour l’inciter à nous consacrer un peu de ce temps qu’il juge souvent si précieux ?

Que faire pour franchir le cap de cet anonymat et satisfaire à la condition première qui régit notre survie : avoir constamment de nouveaux clients ?

Plusieurs possibilités coexistent dont je vous propose deux exemples : compter sur un donneur d’ordre leader sur notre marché, qui sous-traite tout ou partie de sa production. Solution séduisante, alliant apparemment sécurité et confort ; mais est-ce bien le cas ? S’il est vrai qu’elle conduit une grande partie d’entre-nous à se dispenser de la fastidieuse et contraignante prospection, elle peut présenter un risque majeur de position dominante dans notre portefeuille clients.

Les inconvénients que génère cette situation de quasi-exclusivité, sont loin d’être anodins. Le poids d’un tel compte en proportion du chiffre d’affaires total réalisé, fragilise notre entreprise et réduit notre indépendance de décision, face aux éléments de renégociation de contrat, de pression concurrentielle, de clauses de non-concurrence, de niveau de prix, de disponibilité à des fins de diversification et parfois même de probité.

Autre joli mirage : spéculer sur un développement de clientèle reposant sur les promesses de certains réseaux, souvent de type associatif, qui mettent en exergue les retombées commerciales qu’entraînera, moyennant finance, une adhésion.

Mon propos n’est pas de dire que lesdites retombées n’existent pas, bien au contaire, mais plutôt qu’elles profitent généralement, à un nombre restreint d’individus, qui savent habilement tirer partie de ce que produisent les groupes de travail, ateliers de réflexion et autres assemblées, auxquelles nous sommes vivement « invités » à participer, aux seules fins évidentes, de nous faire progresser ainsi que nos pairs.

Quelle alternative ? J’en reviens à mon point de départ : la dimension commerciale intégrée et sa maîtrise, indispensable corollaire.

« Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile. » Quelle belle maxime que voilà ! Et qui exprime parfaitement la difficulté de la tâche, ou plutôt la perception que nous pouvons en avoir.

Parlons un peu de cette perception, mais sous l’angle du prospect. Mon expérience de cette pratique régulière, m’amène aujourd’hui à faire le constat que la presque totalité des entreprises que j’ai pu démarcher ont une image favorable de cette approche.

Pour quelles raisons ? C’est très simple ! Lesdites entreprises sont soumises à cette même règle de base qui consiste à faire connaître leurs produits pour les vendre et ne voient pas pourquoi notre production y ferait exception.

De plus, je crois que la démarche qui consiste à aller vers cet autre, notre prospect, pour découvrir son environnement, ses savoirs, les difficultés qu’il rencontre, ses besoins, ses attentes et enfin lui dire qui nous sommes et ce que nous pouvons lui apporter, valorise notre domaine en le rendant plus concret et de fait, plus abordable.

Les possibilités offertes pour répondre à chacun des points effleurés précédemment foisonnent : études de marchés et d’impact, plans d’actions, techniques de prises de rendez-vous téléphoniques, d’entretiens, de négociations, de conclusion, autant de solutions que je n’ai pas l’heur d’aborder ici. Ce dont je suis convaincu, c’est que notre marché reste peu prospecté ; qu’un changement de génération est en train de s’opérer au sein de notre profession, qu’il s’accompagne d’un allongement des cycles de formations techniques dont les variétés croissent et sont plus que jamais nécessaires à son exercice ; formations dans lesquelles les disciplines commerciales devront tôt ou tard trouver leur place pour être utilisées avec professionnalisme.

Ceci nous conduira peut-être à éviter des situations comme celle qui a inspiré mon envie de partager avec vous cette réflexion. Situation d’un autre âge, résumée en son temps par La Rochefoucauld en des termes qui ont conservé toute leur fraîcheur « La première impression est souvent la bonne, surtout quand elle est mauvaise ».